Interview d’Etienne Chomé par Corina Julie, paru dans L’Expresso, 24 avril 2009

Peut-on connaître le but de votre visite à Maurice?

J’ai vécu à Maurice de 1999 à 2005, 6 ans pendant lesquels j’ai donné des formations en Gestion des conflits et que j’ai forgé tipa tipa une méthode adaptée à votre réalité arc-en-ciel. J’ai ainsi formé 45 Mauriciens à cette approche novatrice en Communication vraie et en Négociation efficace, pour qu’à leur tour, ils animent le parcours de formation qui comprend 10 séances en soirée, une rencontre par semaine sur 3 mois. Depuis 2005, je reviens régulièrement à Maurice pour la formation continue de ces animateurs. Je fais également des formations MQA approved de 3 jours en entreprises.

Parlez-nous de votre méthode qui n’est pas la CNV mais qui en est proche.

Les sources de conflit sont de trois types : 1) des dysfonctionnements structurels, un déficit dans les règles du jeu, un flou dans leur application ;

2) du vécu difficile (frustration, jalousie, etc), manque de respect des personnes, couacs relationnels ;

3) des intérêts divergents, rivalités, désirs de gagner, guerres de tranchées.

En contrepoint, j’ai forgé la méthode CRITERE qui nous donne des outils pour articuler 3 compétences :

Le cadre de droit                   la communication vraie       et la négociation efficace.

1) L’autorité ferme fait respecter les règles du jeu et déjoue les diverses tactiques de prise de pouvoir des uns sur les autres en améliorant le cadre de droit chaque fois que nécessaire ;

2) L'intelligence émotionnelle dénoue les vécus difficiles. Sa force tient dans l’empathie et la bienveillance. Son fruit est d’améliorer la relation ;

 

3) L’intelligence rationnelle  recadre sur les intérêts en présence, invente des solutions nouvelles, obtient des engagements libres et responsables, un bon accord.

 

 

L’oeil vigilant du droit  contraignant (non négociable en cours de partie)

Le cœur chaud d’empathie qui n’a pas peur de plonger dans les subjectivités

La tête froide qui résout rationnellement un problème, avec imagination et créativité

 

Registres

  institutionnels et juridiques,      psychologiques et spirituels,                socio-politiques.

 

L’originalité de la démarche CRITERE consiste à 1) distinguer ces trois niveaux de blocage et de remède - à chaque serrure, la bonne clé –, 2) ensuite les réarticuler profondément car le recours à l’une de ces compétences sans les autres grève son efficacité et inversement, leur synergie donne à chacune de porter pleinement tous ses fruits. Le défi est de réussir en toutes circonstances à combiner la garantie d’un cadre de droit (respect des règles), la communication vraie (respect des personnes dans leurs vécus et leurs valeurs) et la négociation efficace (respect des intérêts divergents, au point de dégager un accord).

 

 

Question : Finalement plein de choses se jouent autour de la parole. Il y a des choses qu’on doit dire mais on n’ose pas, parfois on blesse les autres sans s’en rendre compte, sinon on dit des choses alors qu’on pense le contraire… Beaucoup de relations sont mal vécues parce qu’on s’exprime mal. Il vaut peut-être mieux se taire à la fin parce qu’à chaque fois qu’on ouvre la bouche on prend le risque d’être mal compris.

Questions : Dans la pratique, peut-on vraiment apprendre à se parler, est-ce que cela suffirait pour que tout marche dans nos relations, parler juste résoud-t-il les problèmes ?

Les engueulades, se heurter verbalement peuvent avoir du bon aussi. C’est une manière de combattre le stress, d’exprimer son ras le bol, de se défouler…Peut-on s’engueuler sans violence ? Et n’est-ce pas une mauvaise chose de tout niveler, nos coups de cœur comme nos coups de gueule ?

 

Vos réflexions me font penser au vieux proverbe persan : « La faiblesse se reconnaît à deux choses : se taire quand il vaudrait mieux dire, parler quand il vaudrait mieux écouter ! ». La première étape du parcours de formation en GDC apprend d’une part comment éviter d’éviter et d’autre part quand, où et comment faire STOP. Les impulsifs ont surtout besoin d’apprendre à faire STOP et à concentrer leur énergie dans l’obtention d’un rendez-vous ultérieur au bon moment, au bon endroit, avec la (les) bonne(s) personne(s) concerné(e)e. A l’opposé, se taire quand on devrait dire peut coûter très cher : frustrations, colère intérieure, déprime, etc. Quand j’ai du mal à dire, j’ai des maladies ou ça s’accumule jusqu’au jour où ça explose. Un groupe est en danger si plusieurs de ses membres ne parviennent pas à dire franchement et sincèrement ce qu’ils vivent de difficile. Soit ils s’enferment dans le silence, soit ils en viennent à parler mais au pire des moments, soit ils parlent à d’autres dans le dos du concerné ! Pour s’en sortir, nous avons tous besoin de poser et de soigner des rendez-vous réguliers et privilégiés de dialogue, au moyen desquels chacun osera dire ce qui ne va pas à la bonne personne, au bon moment et au bon endroit. C’est un art qui ne s’improvise pas. Voici par exemple deux règles complémentaires qu’un couple en crise s’est donné pour empêcher leur dialogue de dérailler : « 1) En dehors du temps hebdomadaire privilégié, on est d’accord de faire STOP dès que la discussion tourne mal. 2) Au rendez-vous, nous commençons par prendre du bon temps, gratuit, en mettant les petits plats dans les grands : restaurant, promenade, activité que nous aimons faire à deux... Puis, dans l’autre moitié, nous osons revenir sur les points difficiles vécus pendant la semaine. C’est dans ce cadre que nous prendrons ensemble des décisions pour le quotidien. » On n’a plus peur de nos désaccords quand on est d’accord sur la procédure à suivre en cas de désaccord !

 

Une étape ultérieure du parcours nous apprend non pas d’abord à parler aux autres mais à écouter : écouter les besoins de l’autre quand il est enbalao ou en colère, m’écouter moi quand moi je suis agité par un sentiment qui m’alerte qu’un de mes besoins n’est pas rencontré, qu’une de mes valeurs n’est pas respectée. Dans ce cas, prendre le temps d’un dialogue de moi à moi, avant d’ouvrir la bouche pour communiquer à l’autre ce qui est important pour moi. Ce n’est qu’après ce dialogue intérieur que la méthode nous invite à parler à l’autre, ce que nous dirons alors sera calmé, décanté, lucide et efficace.

 

« Celui qui parle, sème. Celui qui écoute, sème et récolte… » affirme la sagesse populaire. Nous avons été créés avec une seule bouche et deux oreilles. Cette disposition n’est-elle pas une invitation à écouter deux fois plus qu’à parler ? En outre, la bouche est un organe que je peux choisir d’ouvrir ou de fermer, tandis que les oreilles sont toujours en position ouverte, de réception.

 

Voir ma conférence de jeudi soir qui a été filmée et enregistrée.